Une méthode d'écriture ?

"Sans travail, le génie n'est qu'une sale manie"
(Georges Brassens)

>>> Curieusement , c'est une des informations qui passe le moins bien sur le net . Quelques compositeurs gardent jalousement leurs secrets d'écriture comme s'il s'agissait d'une formule magique (dont la perte les ferait regagner leur état initial de crapaud ?) D'autres ne font qu'aborder le sujet avec légèreté , ce qui n'est qu'une autre façon de contourner l'épineuse question des secrets de fabrication ...
J'espère donc que cette page vous aidera. Mais ne vous leurrez pas, ce n'est pas seulement pour vos beaux yeux que j'ai rédigé ces quelques notes. C'est aussi et surtout parce que ca m'oblige à faire un effort de synthèse et de formalisation qui n'est pas sans utilité !
Je laisse donc de côté l'aspect musical qui est à la fois beaucoup plus intuitif et beaucoup plus fréquemment théorisé, et je vous livre quelques trucs d'écriture, comme ca, en vrac. Elle tient en quelques mots : lisibilité, rythme, construction, champs lexical, obstination.

- Lisibilité

N'oubliez jamais que vous écrivez des textes soit pour être compris, soit pour produire un effet. Il faut toujours garder en mémoire que vous écrivez pour un récepteur. Cette personne doit comprendre ce que vous chantez, et en jouir sans qu'il ait à faire le moindre effort. Il faut donc être très clair, très lisible.

Un texte peut être objectivement brillant, mais inadapté au support qu'est la chanson. Beaucoup d'artistes - moi le premier !- font l'erreur de travailler beaucoup sur leurs vers, et de produire de petits poèmes qui se lisent très bien, mais qui s'écoutent très mal. Lorsqu'on lit un texte, on peut adapter son rythme de compréhension au poème. On peut aussi revenir sur ce que l'on a pas compris. Si votre chanson passe à la radio, on écoutera vos vers d'une oreille distraite. Il faut donc tout faire pour éviter que l'auditeur perde le fil.

- Rythme

Il faut éviter à tout prix l'erreur qui consiste à croire que le texte et la musique sont indépendants, qu'on peut les assembler sans se soucier de les harmoniser. Les poètes disent volontiers que les mots, et les vers ont leur musique. Façon un peu obscure de dire qu'il ne suffit pas de poser des mots, et de les faire rimer pour obtenir un bon poème.

L'aspect le plus facile à comprendre de cette musicalité, c'est le rythme. Brassens écrivait en battant du poing. Il marquait les rythmes de sa chanson par la percussion répétitive de sa main sur tous les objets qui lui passaient sous la main. Brassens savait que le rythme d'une chanson est essentiel, si l'on veut qu'il reste dans les mémoire et qu'il soit plaisant à écouter. Il y a donc investi beaucoup de travail, un travail qui ne s'est pas avéré inutile, puisque ses chansons sont gravées dans nos mémoires dés la première écoute. Quand on regarde ses textes de plus près, on se rend compte que la structure de la versification de ses chansons est très rigoureuse, et très choisie, du type 8-8-8-4 / 8-8-8-4 / 4-4-2-8 …Ces chiffres, qui comptabilisent le nombre de syllabes (ou pieds) par vers, ne sont pas le fruit du hasard, mais bien plutôt d'un travail acharné. Brassens attachait aussi beaucoup d'importance aux sonorités. Il essayait de parvenir à des rimes profondes et répétitives. Il tentait d'adapter la couleur de ses mots au ton de ses chansons… Il y a des mots durs et des mots doux, des mots sombres et des mots lumineux.

- Construction temporelle

Que raconter dans une chanson ? Parler de généralités ? Raconter une petite histoire ? J'ai tendance à penser que les chansons les plus captivantes sont celles qui racontent une histoire, et dont on peut se fabriquer une image mentale. Il faut faire en sorte que l'auditeur souhaite connaître la suite. Si le suspense est correctement distillé, on peut alors se permettre de clore la chanson par une chute originale et inattendue, qui donne toujours une très bonne impression à l'auditeur.

Le travail de construction temporelle se fait machinalement, lorsqu'on écrit une chanson. Mais on gagne beaucoup à étudier la façon dont d'autres auteurs élaborent leurs histoires. Il existe une technique très fine de construction de chansons, que l'on apprend à l'écoute d'auteurs aussi brillants que Brassens ou Brel (voir Zangra de Brel ou La traîtresse de Brassens). Pourtant, il ne suffit pas de connaître tous les procédés des maîtres par cœur. Seul le talent et la créativité vous permettront de trouver les idées les plus originales et les plus efficaces pour écrire de façon dynamique sur un sujet précis …

- Champs lexical …

Les jeux de mots peuvent avoir une place centrale dans une bonne chanson. Ils peuvent venir sans efforts, mais ils peuvent aussi être le produit d'un long travail … Il n'y a qu'à écouter Bobby Lapointe pour s'en convaincre. Si vous voulez devenir le roi du jeu de mot, je ne saurais trop vous conseiller de disséquer les chansons de Lapointe, et surtout les sketches de Devos. Les jeux avec les mots y tiennent une place centrale. De ces écoutes, j'ai retenu l'idée suivante : il faut toujours chercher tous les mots qui tournent autour du thème d'une chanson avant de la commencer. Une fois le champs lexical circonscrit, il est facile de trouver tous jeux de mots qui s'imposent (cela permet aussi de trouver le vocabulaire le plus fin pour écrire ses vers).

Prenons l'exemple du mille feuille, un excellent sketche de Devos. Tournant autour du champs lexical de la nourriture, Devos trouve une série de mots parents, dont on peut imaginer qu'il les a notés sur une feuille de papier - . Charge à lui de les assembler ensuite :

"Comme j'avais un peu oublié ce que c'était que d'avoir faim, j'ai fait maigre. Enfin c'est à dire que j'ai jeûné. J'ai jeûné ca s'est vu tout de suite, on a dit 'tiens, le vieux jeûne'. Et dés que je me suis senti le ventre creux, j'ai compris que la [faim/fin] était proche. Je suis rentré chez moi, et j'ai écrit le commencement de la [faim/fin]. Il était une fois - la faim".

L'une des astuces principales de Devos est donc la suivante: il exploite le double sens des mots du champs lexical du thème sur lequel il écrit son sketches. L'écoute attentive de Lapointe et de Devos vous apprendra encore bien d'autres astuces.

- Obstination

Suivons l'exemple du maître: Brassens mettait des mois, parfois des années avant de terminer une chanson. Partant d'un poème imparfait, à la structure approximative et aux vers qui ne rimaient pas forcément, Brassens revenait sans cesse sur ses chansons, modifiant plusieurs fois la structure, les strophes, les vers, les idées … avant de mettre un point final à son travail. Pour Brassens, une chanson n'était finie que quand il ne voyait plus ce qu'il pouvait encore y changer. Une méthode qui a fait ses preuves…